Cette chronique n’engage en rien La Première Ronde et elle ne reflète que l’opinion du chroniqueur.
Depuis plusieurs semaines, tout le monde ou presque a émis son opinion sur la pertinence des bagarres dans le hockey. C’est légitime. Je crois que les gens peuvent s’exprimer, mais je crois qu’il faut quand même mettre les choses en perspective et c’est ce que je vais faire dans ce texte. Pour étayer mes analyses et donner du lustre à celles-ci, j’ai interviewé, il y a quelques jours, un ami de longue date qui travaille au sein d’une équipe de la LNH et qui a travaillé avec les experts en santé de la Ligue nationale de hockey. Il est pertinent de mentionner que ce sujet fera l’objet de débats encore et encore.
Pour commencer, je crois que les émotions parlent lorsque je demande à quelqu’un si les bagarres ont encore leur place
– « Oui ça donne un show, les gens se lèvent et apprécient le spectacle quand deux pugilistes s’affrontent », me déclare un partisan
-« Pour moi, si on veut protéger les joueurs de petites tailles ou les meilleurs sans qu’ils subissent des coups graves, il faut qu’ils puissent compter sur quelqu’un qui les défend », m’explique un autre.
Dans ceux que j’ai abordés, je dirais qu’un peu plus de la moitié était en faveur de garder les bagarres au hockey. Alors pourquoi arrivons-nous à un constat inverse lorsque c’est le politique et les médias qui s’en mêlent? De nos jours, il semble acquis qu’il faut être du côté du changement pour être perçu comme quelqu’un de normal et j’exagère à peine. Mon constat est que c’est seulement au Québec que ce sujet fait surface et nulle part ailleurs. Est-ce parce qu’ici nous sommes malchanceux et que certains ont eu des séquelles plus importantes que des Ontariens ou des Américains? Est-ce parce que des politiciens ou pseudo-experts du sport ont tellement soif de changements qu’ils en perdent un peu la logique en faisant parler les émotions?
Tout le monde a une histoire sur un joueur qui se battait au niveau junior et qui a eu des séquelles importantes. Les articles de journaux pullulent de ces histoires depuis quelques jours. On essaie de convaincre la population qu’une bagarre au hockey c’est révolu et qu’on doit les bannir. En réalité, les bagarres n’ont jamais été acceptées, car les joueurs impliqués reçoivent une pénalité majeure et les instigateurs des inconduites de parties. Alors je me demande comment peut-on interpréter que les combats étaient acceptés? C’est une fausseté à laquelle on a décidé collectivement d’embarquer, mais qui fait en sorte que le problème se résorbe par lui-même.
J’ai l’impression qu’en 2023 il faut se conformer à une ligne de changements sinon nous ne sommes pas normales. Parce que la société change sous différentes formes, il faudrait que tout change sans exception. Pourtant, de bonnes vieilles traditions sont encore les bienvenus dans la société d’aujourd’hui.
Lors de l’arrivée de la Covid-19 en 2020 et l’arrêt des activités dans la majorité des ligues, les gouvernements se sont portés volontaires à aider les organisations sportives au niveau monétaire pour les aider à passer au travers de la crise. Les assistances n’étant nulles, donc aucun revenu, plusieurs équipes de plusieurs ligues étaient sur le respirateur artificiel comme ce fût le cas pour la LHJMQ. Sont venues ensuite des négociations sur les montants qui seraient attribués à chaque équipe, mais avec une exception : que les bagarres soient interdites dans la ligue. Les propriétaires ont été pris au dépourvu et je les comprends, mais ont dû se résigner à se rallier aux doléances de la ministre des Sports, Isabelle Charest, qui avait un levier incroyable lors de ces échanges.
Depuis quand un gouvernement s’immisce dans les activités d’une ligue sportive? Normalement cesdites ligues sont encadrées par des conseils d’administration qui nomment des dirigeants pour éventuellement décider des règlements qui seront en place. Ils sont indépendants et devraient le rester. Je fais un parallèle avec la Ligue nord-américaine de hockey qui n’a pas eu à se conformer à cette condition puisque cela n’aurait pas été accepté.
Il y a ici une question d’argent et de marketing. Bien évidemment que les partisans qui assistent à un match et voient un combat se lèvent d’un trait de leur siège et apprécient le spectacle. Cela fait partie du »show » et tout le monde est conscient de cela. Ne venez pas me dire qu’en voyant un combat on pense au fait qu’un joueur pourrait se blesser à la main, à l’épaule, pourrait recevoir un jab direct sur le nez et le casser, etc….Je ne dis pas qu’il faut encourager cela, car les risques de blessures sont présents, mais cela dit, ça fait partie d’un cadre bien défini avec consentement de deux joueurs.
J’entends déjà les cris de ceux qui n’en veulent plus. Ceux qui martèlent que le hockey est le seul sport ou les combats sont acceptés. Encore une fois, c’est faux puisque les combats sont punis. Revenons-en à mon propos initial de la phrase. Oui je comprends qu’au niveau universitaire, que dans la NCAA et que dans bien d’autres ligues il n’y a pas de combats, mais c’est comme ça. Il faut dire que dans ces ligues, les joueurs jouent avec visière complète, c’est assez compliqué se battre de cette manière. En Europe, les bagarres sont également parties du jeu. Pourquoi n’en parlent-ils pas de les abolir? N’ont-ils pas des joueurs qui en récoltent des séquelles par la suite ou sont-ils si différents de nous?
Je crois que nous ne sommes pas habitués de voir des mêlées dans d’autres sports, mais quand les bancs se vident au baseball ou que les joueurs de football se chamaillent sur le terrain, dira-t-on que c’est une exception et que ça n’aurait pas dû arriver? Pourtant les commentaires que j’entends suite à ces événements sont plutôt en faveur d’une réaction positive. Je n’ai pas encore vu de pétitions qui réclament la fin de la boxe. J’estime que c’est un sport d’autant plus dangereux puisque les boxeurs se battent sur une surface dure qui amplifie les coups, j’y reviendrai plus loin dans l’article de l’importance du sol et de la stabilité.
Dans le prochain segment de mon article, je vais m’appuyer de chiffres pour affirmer que les bagarres ne sont pas les causes majoritaires des traumatismes que subissent les joueurs. Il n’est pas question ici de faire référence au film »Commotion » et des Steelers de Pittsburgh qui ont mal évalué les risques à l’époque qui ont été graves pour certains. Il s’agit d’une analyse étoffée qui se base sur des faits précis et prouvés.

Dr David Milzman
J’en ai parlé au docteur David Milzman, médecin urgentiste, professeur au Georgetown and Washington Hospital Center et médecin urgentiste sur place lors des matchs à domicile des Capitals de Washington en plus d’être spécialisé en traumatologie. Ce dernier est à l’origine d’un texte publié en 2011 qui mentionnait que les bagarres à elles seules ne causaient pas juste les problèmes crâniens. Le Dr Milzman s’intéressait particulièrement aux traumatismes crâniens et il était « absolument convaincu » que la Ligue nationale de hockey avait raison de s’inquiéter du lien entre les coups à la tête et les commotions cérébrales. Maintenant que l’on en sait plus sur leurs dommages à long terme, convient-il, les commotions cérébrales ne devraient pas être interprétées de la mauvaise façon non plus. C’est une affirmation qui a du sens, si vous pensez à ce qui se passe généralement dans un combat de hockey. Deux joueurs se saisissent d’une main et commencent à se donner des coups de poing. Ils sont aussi susceptibles que de ne pas porter un coup sur un casque. Et parce qu’ils sont sur des patins, ils se balancent d’avant en arrière ou tournent en rond. Il est rare qu’un coup propre soit livré avec succès, enchaine-t-il.
« Lorsque vous êtes sur la glace », explique le Dr Milzman, « vous obtenez toute la puissance de votre pied avant. Que vous teniez un maillot ou non, vous n’obtenez tout simplement pas le transfert de puissance parce que votre pied avant bouge et que la chose que vous frappez bouge. Les observations du Dr Milzman ne se limitent pas à des anecdotes. Lui et un groupe de chercheurs ont étudié les combats de la LNH en 2011 – littéralement en regardant des rediffusions au ralenti de chaque échange de coups de poing dans la ligue durant cette campagne – et ils pensent avoir des preuves statistiques pour étayer ses affirmations. Ils ont documenté 710 combats en 1 239 matchs de pré-saison et de saison régulière, et compté 17 blessés, pour un taux de 1,12 % par combattant par combat. Sa principale conclusion : le risque de blessure lors d’une bagarre au hockey est « extrêmement faible ». La recherche, qui avait commencé il y avait plus d’un an en 2010, visait à l’origine à comparer les blessures à la main – « blessures métacarpiennes », dans le jargon des médecins spécialistes – entre les combats de hockey et ceux qui se déroulent sur terre ferment. Les joueurs peuvent se blesser dans les combats de hockey, bien sûr.
Mais les chercheurs n’ont noté que trois commotions résultant de combats cette saison-là sur les 710 rencontres, un pourcentage infime que le Dr Milzman attribue à la physique. Il a voulu approfondir la mécanique, mais a estimé qu’un coup de poing frappé sur la glace atterrit avec 15% de la force d’un coup de poing frappé sur terre. Il y a aussi le fait que beaucoup de bagarreurs ne se battent pas très souvent ou quand ils le font, sont plus aptes à mieux se défendre pour réduire les dégâts.
Lorsque je lui ai parlé pour les chiffres en 2022, il m’a mentionné qu’il avait fait l’exercice sur d’autres ligues en plus de la LNH, les statistiques sur plus de 600 combats analysés étaient en moyenne de 10 blessés ce qui correspond au même pourcentage approximativement que son étude d’il y a 11 ans. La conclusion est que les blessures n’augmentent pas avec le temps. Avec les bagarres qui diminuent déjà d’eux-mêmes je ne crois pas qu’il faille s’alarmer. Et les blessures mentionnées sont les traumatismes crâniens pas des blessures aux mains ou autres parties du corps suite à un combat, il est bien important de le préciser.
Selon lui, le débat sur la question de savoir si la ligue doit continuer à réprimer les coups à la tête ne doit pas être confondu avec le débat sur la question de savoir si les combats ont une place dans le hockey. Ce sont des débats séparés.
Il termine en disant ceci : « C’est facile de pointer du doigt la LNH et d’autres ligues comme la LHJMQ chez vous », poursuit le Dr Milzman, mais il réitère que les combats ne sont pas le principal problème. Cela n’arrive pas à cause des bagarres au hockey, conclut-il. Le problème est celui des collisions à grande vitesse, et tant de choses sont inconnues sur les lésions cérébrales qui en résultent.
Donc il faudrait plutôt selon lui se pencher plus longuement sur les conséquences des mises en échec et des contacts à la tête à grande vitesse qui sont plus dangereux selon lui surtout si un joueur se fait frapper dans l’angle mort sans s’en attendre.
En conclusion, je ne dis pas qu’il faut absolument qu’il y ait des bagarres à chaque match, mais je crois que la pertinence de ne pas les bannir appuie les faits que j’ai mentionnés ci-haut au niveau de la protection des joueurs et aussi au niveau économique.
Finalement, si on ne veut pas que les joueurs jettent les gants, il faudrait que les officiels soient plus sévères pour punir les contrevenants, mais c’est une situation qui ne s’est pas améliorée avec le temps et qui ne s’améliorera pas dans le futur.
À moins qu’un jour on interdise la mise en échec?
Je prône le pragmatisme et je crois que cet article est matière à réflexion et a débat intelligent.
À moins que mon interlocuteur ne soit pas assez crédible pour les grands penseurs de ce sport?
Johnatan Paré
Commentaires
Aucun commentaire