Lanceurs de fortune demandés | Charlie Phaneuf

J’avais deux fantasmes dans la vie. L’un était de voir mon idole Ichiro Suzuki lancer une manche, l’autre était d’être témoin de David Ortiz évoluant au champ centre. J’ai évidemment vu Ichiro défier des frappeurs. Mais pour le reste, voici ce que le Père Noël des campeurs me disait à chaque année lors de ma demande farfelue : espère dans une main, mon ami, puis crache ta chique à tabac dans l’autre… et regarde ensuite laquelle se rempliera la première.

Sans blague, les joueurs de position ont été appelés à 51 reprises sur le monticule, à date, cette saison. Et cela représente un nouveau record pour le plus haut total en une seule campagne, pulvérisant de plein fouet l’ancienne marque de 31, établie de l’an passé. Cette considérable augmentation de lanceurs tampons sur la bute est en corrélation directe avec cette autre mode en pleine croissance dans la Ligue : les équipes de la MLB sont beaucoup plus rapides qu’avant sur la gâchette envers les lanceurs partants et, du même coup, l’enclos des releveurs est plus sollicité que jamais.

Doux Jésus, comment cela est-ce possible?

Eh bien, une telle stratégie lobotomise les gérants et ampute les alignements; les équipes doivent ensuite économiser leurs réels lanceurs à des fins dites plus utiles. Et cela nous amène des scénarios rocambolesques, comme la fois où les D-backs ont utilisé le champ intérieur Daniel Descalso ainsi que le receveur Alex Avila afin de lancer le restant de la quatrième manche (4 2/3), le 11 juillet, lors d’une défaite de 19-2 aux mains des Rockies. Ah ça, c’est pas banal. Mais bien essayé, quand même.

Oh oh oh. Et voilà que certains internautes gravitant autour de la sphère baseball, des électrons libres dont il vaudrait mieux taire le nom, se disent concernés par cette augmentation de lanceurs de fortune sous le réflecteur.

L’argument est le suivant : les puristes craignent que cette tendance à la hausse rende la situation de moins en moins unique en son genre. Rapport que c’était auparavant un événement aussi valable que le 3 000e coup sûr de Tony Gwynn au Stade Olympique, le 6 août 1999 pour les nostalgiques, mais que c’est maintenant devenu aussi stimulant que n’importe quelle frasque de Yasiel Puig.

Essentiellement, le raisonnement de base est le suivant : étant donné que tout le monde peut lancer maintenant, et que c’est devenu aussi fréquent que de voir Bryce Harper s’élancer dans le beurre pour une troisième prise, l’événement a perdu de sa rareté et de sa valeur; donc moins divertissant. Moins divertissant qu’un John Rocker à qui on aurait confié le compte Twitter de l’équipe, mettons.

Autrefois quasi-impensable, cette pratique serait-elle devenue aussi démodée que la musique de Britney Spears en 2010, Seigneur!?

Tsé, ce n’est pas nécessairement parce qu’un événement se produit davantage que c’est d’autant moins fascinant. Par exemple, on prendrait probablement une souplesse arrière de Pedro Martinez aux dépens du vieux Zimmer à tous les soirs. Mais ça, c’est une autre histoire; gardons le focus sur le plat principal, si vous le voulez bien. Observer les joueurs de position lancer vers la zone des prises, c’est forcément un bon spectacle à tous les coups. Un troisième but qui déploie une balle simili-papillon à 67-mph restera sensationnel jusqu’à ad vitam aeternam, ni plus, ni moins. Un avant-champ de carrière qui atteint un frappeur au moyen d’un lancer à 47-mph est un événement incroyablement bizarroïde, et ce, même si c’est le receveur remplaçant qui vient ensuite lancer – presque aussi captivant que de voir Bartolo Colon frapper un circuit. Vous me suivez?

Le philosophe dans les estrades populaires vous le dirait : envoyer un joueur de position sur la bute augmente considérablement les probabilités d’apercevoir du baseball inusité, mais sans toutefois réduire le potentiel d’actions à faits marquants durant le match. Ou, comme le disait si bien Hunter S. Thompson : « When the going gets weird, the weird turns pro. »

Et cela devient aussi clair qu’un ciel d’Azur au cœur de l’été, spécialement lorsqu’on considère que la plupart des matchs dans lesquels on envoie un lanceur tampon au monticule sont des causes aussi perdues que la carrière de John Gibbons comme entraîneur chef. Par exemple, lorsque Joe Maddon, valeureux coach des Cubs, a désigné Victor Caratini et Anthony Rizzo afin de parachever la neuvième manche il y a de cela deux semaines, les Cubs avaient autant de chances de remporter ce duel que de voir un jour les Royals de Kansas City réapparaître en Séries Mondiales.

Autrement dit, au lieu de laisser sombrer cette partie dans le conflit de l’indifférence, au gré d’une platonique défaite de 7-1 sans saveur à domicile, Maddon a plutôt décidé d’offrir un moment inoubliable aux fans… et à Rizzo lui-même!

Indéniablement, et d’un point de vue encore plus neutre que l’uniforme des Padres de San Diego pré-1993, le scénario idéal de chaque partie de baseball consiste en une captivante bataille de tranchées et qui se termine – en neuvième manche ou en prolongation – avec un écart d’un point. Hélas, nous savons tous que ce n’est pas toujours le cas. Parfois, votre cinquième partant s’amène avec un coffre d’outils digne d’un José Lima sur le cruise-control; l’attaque adverse ouvre le bal avec une véritable pétarade de points avant même que vous n’ayez eu le temps de prendre un seul bâton à votre tour et, au final, vous entrez en huitième manche avec deux touchés d’écart au tableau.

Face à ce scénario, qui aimeriez-vous voir au monticule?

1) Le vieil artilleur de relève qui roule sa bosse entre les voyages d’autobus dans les mineurs et quelques sauts dans la MLB, qui lance parfois bien, mais ô combien peu spectaculaire, avec des rapides à 89-90-mph et qui pourrait tout de même être utile lors d’une cause gagnante?

2) Le deuxième but extraverti, idole des jeunes et qui est pratiquement un héros-culte chez le fanclub de l’équipe, le genre qui n’a pas lancé depuis l’école secondaire, qui tentera d’enrayer des frappeurs de la Grande Ligue avec des balles rapides à 75-mph et qui nous assure donc un moment hilarant ou deux?

Le choix est évident. Et ça ne prend la tête à Felipe Alou pour comprendre ça. Presque aussi évident que le prochain MVP de l’Américaine : ce sera Mookie Betts. Cela dit, nous en reparlerons une prochaine fois. Quoi que, Mookie possède-t-il une balle fourchette d’assaut? Ah ça, pour l’instant, seul Babe Ruth le sait; il voudrait bien nous le dévoiler, mais Ty Cobb lui a enfoncé une balle de baseball dans le gosier. Vilain Monsieur, comme toujours. M’enfin, la O’keefe tablette touche le fond, alors c’est tout pour moi. Mahalo!

Délire Gonzo exclu? Quel joueur de position aimeriez-vous voir lancer, par un soir de pleine lune?

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