La première ronde des Patriots | Vincent Filteau

 

 

La soirée de repêchage la plus excitante du sport professionnel se tenait hier soir au AT&T Stadium, la Chapelle Sixtine de la NFL, domicile des Cowboys de Dallas. Sans surprise, les Browns de Cleveland ont sélectionné le moins bon des quatre quarts-arrière les plus prometteurs de la cuvée 2018 avec le tout premier choix total en jetant le dévolu sur le récipiendaire du Trophée Heisman, Baker Mayfield. Les Giants de New York, une organisation tout aussi sérieuse que légendaire, ont, quant à eux, mis la main sur le meilleur joueur disponible, le porteur de ballon de Penn State, Saquon Barkley.

En Nouvelle-Angleterre et au Québec, bien des yeux étaient rivés sur le quartier général des Patriots qui ont encaissé de lourdes pertes durant la saison morte, sans oublier la privation de choix de première ronde causée par le faux-scandale du Deflategate et la transaction pour obtenir les services de Brandin Cooks, l’an dernier. En fait, les Patriots n’avaient pas parlé en première ronde, depuis 2015, où il avait choisi le plaqueur défensif Malcolm Brown qui s’est avéré une déception à plusieurs égards. Après la défaite du Super Bowl 51 où la brigade défensive de la Nouvelle-Angleterre s’est fait gravement malmenée, un dur constat s’imposait : cette défensive était indigne d’une participation au Super Bowl. Sans Tom Brady, le MVP en titre, et sa cible élective Rob Gronkowski, les Patriots n’auraient même pas fait une ronde de séries éliminatoires. Et que dire des performances lamentables de la ligne offensive, tout au long de la saison, qui culmina sur un fumbleà crever les yeux avec deux minutes à faire au tableau indicateur, quand les Patriots ont récupéré le ballon, avec la possibilité de réaliser un autre scénario hollywoodien, comme seul Tom Brady – l’homme qui bat ses propres records en séries éliminatoires – peut le faire.

Ce qui nous conduit au premier choix des Patriots du repêchage de 2018, le joueur de ligne offensive en provenance de Georgia, Isaiah Wynn. Les observateurs du panel de NFL Network ont immédiatement célébré ce choix de Bill Belichick qui, par le fait même, comblait son plus grand besoin avec la perte de Nate Solder, à l’ouverture du marché des joueurs autonomes. Mike Mayock l’a décrit comme le «meilleur joueur de ligne offensive de la SEC» et même comme l’«un des meilleurs à cette position dans le football collégial depuis des années» (traduction de l’auteur). Mais encore là, faut-il que le joueur se développe de manière adéquate, qu’il assimile une conception du jeu orchestrée par le plus grand manitou défensif de l’histoire de la NFL, sous peine d’être échangé dans un avenir très proche. Les Patriots ne pouvaient donc pas passer sur l’occasion de développer le digne remplaçant de Nate Solder, particulièrement en raison du fait que Tom Brady est le quart-arrière le plus violenté de la NFL, depuis deux ans. Et à 41 ans, un tel traitement peut terminer sa carrière au prochain sackdont il sera victime. Belichick avait déclaré qu’il ne dicterait pas sa sélection en fonction de ses besoins, mais, encore une fois, il nous aura menti ; ou partiellement, si l’on tient de son deuxième choix de première ronde.

Il faut bien admettre que Sony Michel est un porteur de ballon fort prometteur, qu’il pourrait devenir le meilleur à ce poste chez les Patriots depuis Kevin Faulk – peut-être le surpassera-t-il, même –, mais les Patriots n’avaient aucun besoin particulier à cette position, sinon celui de compenser l’absence d’un véritable receveur de passe #1 avec un jeu au sol inspiré comme peut l’offrir Michel. Encore une fois, je comprends cette décision de Belichick et de Nick Casario. Mais, à mon sens, cette situation ne constituait pas une urgence, au point de négliger des backs au grand potentiel comme Josh Jackson (Iowa) et Ronnie Harrison (Alabama), alors que les meilleures années des jumeaux McCourthy sont décidément derrière eux. Pour ma part, à ce point je crois que les Patriots, doivent sacrifier des choix pour s’assurer la sélection du linebackerde Boston College, Harold Landry, qui pourra certainement dynamiser la pression sur les quarts adverses («pass rushing»), d’ici quelques saisons, avec un développement adéquat.

Je demeure ferme sur ma position : pour les Patriots, ce repêchage est l’occasion de reconstruire leur brigade défensive morcelée et vieillissante à peu de frais. Le successeur de Tom Brady ne sera pas choisi cette année. Il n’y aura pas de perle rare demeurée intouchée dans les rondes tardives du repêchage et le clone de Jimmy Garoppolo n’existe pas, encore moins celui de Tom Brady. Cette lubie qui semble s’être emparée de la conscience d’une majorité d’observateurs et de partisans de la Nouvelle-Angleterre – et du Québec par surcroit – doit mourir de sa belle mort. Dans le football d’aujourd’hui, à moins de surpayer grossièrement des quarts-arrières à la réputation aussi surfaite qu’une bulle immobilière du Midwest en 2008, je pense évidemment à Kirk Cousins, il faut d’abord ronger son frein dans les bas-fonds du classement, l’espace de quelques saisons, pour obtenir un quart-arrière de la trempe de Carson Wentz et Andrew Luck. Il y a toujours des exceptions, comme l’an dernier, lorsque Deshaun Watson, de loin le meilleur quart-arrière de sa cuvée, a chuté au 12erang, ou un Aaron Rodgers sélectionné au 24erang, en 2005. Mais voici ce qui n’arrivera plus jamais : vous n’obtiendrez pas un quart-arrière avec le potentiel de devenir l’un des plus dominants de sa génération – un jeune homme de 25 ans qui a reçu les précieux enseignements du plus grand quart-arrière de tous les temps et du plus grand coachde l’histoire du football professionnel, durant sa formation – contre un simple choix de deuxième ronde à la date-limite des transactions. Ce scénario est désormais rayé des astres pour l’éternité.

Avec des choix de repêchage judicieux, d’ici les prochains jours, et possiblement l’acquisition de joueurs défensifs par voie de transaction, Bill Belichick pourrait rafistoler une courtepointe ukrainienne qui pourrait permettre à ses Patriots d’obtenir une dernière chance d’offrir une sixième bague du Super Bowl à Bowl. Or, cela passe nécessairement par une reconstruction minutieuse de la brigade défensive, l’ajout d’un pass rusher digne de ce nom. En cas inverse, nous assisterons décidément, dès cette année, au déclin, voire à l’arrêt de mort, de la dynastie portée par Bill Belichick et Tom Brady, depuis près de 20 ans. Trop d’équipes de la NFC ont judicieusement bonifié leur garnison offensive pour que les Patriots se présentent à nouveau au Super Bowl avec la défensive sur laquelle ils peuvent compter présentement.

Crédit photo : NFL.con

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6 années
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Written by Vincent Filteau
Vincent Filteau est né à Saint-Jean-sur-Richelieu en 1991. Poète, essayiste et journaliste, il a publié dans plusieurs revues et collectifs, depuis une dizaine d'années. Il est (surtout) un passionné du sport.

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