Songe d’une nuit d’hiver

par Yvon-Junior Desgroseilliers

 

40 sous le zéro à l’extérieur, je rentre du boulot en me perdant dans mes songes, ma pensée s’envole… Tout est bon pour se réchauffer, même la simple conversion Celsius-Kelvin. Il fait 233.15 Kelvin à l’extérieur, voilà, déjà on se sent mieux. D’autant plus que j’arrive finalement à l’appart, eau chaude incluse, presque chauffé, le gros luxe!

Un ascenseur, quelques étages et, enfin! Sauvé par le doux goût d’oubli de ma O’Keefe tablette. Quelques heures de repos salutaire loin des trottoirs mal déneigés, des autobus qui passent deux fois par jour les jours fériés, du métro de Montréal qui prend l’allure du Transsibérien par les temps qui courent… Exit le 91.9 Sports et ses élucubrations (en reprise) qui font passer le temps à la job mais nuisent gravement à ma santé mentale sur le moyen-long terme. Exit devoir sourire, avoir de quoi à dire, parler de météo ou de Pacioretty pour la 112e fois de la journée.

Un ascenseur, quelques étages et… hey tabarnak! Monique qui fonce en trombe vers moi. J’appuie frénétiquement sur le bouton de fermeture des portes. Rien n’y fait, la petite teigne est trop rapide! Elle va encore me faire le coup du méchant qu’on croit mort dans un film d’horreur, dans un dernier spasme de « kin toué » passer son bras in extremis entre les portes qui se referment, me laissant faible et sans issue.

Changement de stratégie, discipliné, j’appuie cette fois sur le bouton d’ouverture des portes, je souris :

— Allo Monique!
— Allo! Heille c’est pas chaud dehors hein?!?

Monique c’est la bonne femme du 9e, bien gentille, mais j’me souviens pas de la dernière fois où on a philosophé ensemble à savoir si l’essence précède l’existence ou l’inverse. Pour ce qui est de te parler de refroidissement éolien, de pression barométrique ou des prévisions sur 14 jours, alors là, c’est une tout autre histoire ! Très peu de citations de Nietzsche par contre. Très peu.

— Oh non, pas chaud, pas chaud…
— Penses-tu vraiment que le beau Marc va échanger Pacioretty ?

J’le savais! J’ai été piégé. J’ai la désagréable impression d’avoir voulu appeler mon grand-papa que je néglige, pour lui souhaiter la bonne année, d’avoir composé un mauvais numéro (je le néglige vraiment), d’être tombé en direct sur le fameux 91.9 Sports avec Cicco qui me pose la même foutue question. Si Michel Langevin ouvre sa yeule pendant l’appel, je jure sur la tête à St-Patrick que cet ascenseur là arrivera jamais jusqu’au 9e!

— Haha ! Le beau Marc hein ! Bonne question Monique…
— Parce que Renaud Lavoie, blablabla

Je n’entends plus rien, je n’écoute même plus… J’ai juste envie de fuir, d’aller m’enfermer, de me saouler jusqu’à trouver le sens de la vie. Besoin de sentir que je sers à quelque chose, que mon cerveau n’est pas en train de ramollir… M’en aller loin, très loin, très très loin passé Bali et le sentiment de vivre coincé perpétuellement dans une sorte de mauvais Occupation Double.

On est là, tous les deux, coincés dans un minuscule mètre carré et demi de taule, à même pas devoir monter les marches, à même pas devoir penser vraiment, à même pas sentir le froid, bien au chaud tandis qu’il fait 233.15 misérables Kelvin à l’extérieur…On est là, tous les deux, coincés dans un minuscule mètre carré et demi de taule, à parler du frette et du pire capitaine de l’histoire du CH. Pendant ce temps-là notre bon ami Kim Jong-Un souhaite la nouvelle année à son peuple en l’invitant à « produire en masse des têtes nucléaires et des missiles », « un ado américain tue une partie de sa famille le soir du Nouvel An », et les Golden Knight sont premier dans l’ouest… Dans quel monde on vit?

J’ai juste envie de fuir, d’aller m’enfermer, de me saouler jusqu’à trouver le sens de la vie. Lire de la philo en écoutant du jazz, besoin de sentir que je sers à quelque chose, que mon cerveau n’est pas en train de ramollir… Pendant ce temps-là Monique, elle, est toujours aussi rayonnante qu’un doux soleil printanier, le sourire bien agrippé à ses lèvres meurtries de quinquagénaire. Trop agrippé même, comme Max Pac à son bâton, ou Claude Julien à Max Pac. Elle me donne des boutons avec son bonheur facile, son insouciance de jeune gamine. Si elle avait lu un peu plus, et qu’elle pouvait deviner ce qui se passe dans ma tête en ce moment elle dirait probablement : « Serait-ce possible ! Ce vieux chroniqueur raté dans son appartement presque chauffé n’a pas encore entendu dire que Nietzsche est mort ! ».

Je sais bien qu’elle a raison. Que parfois ce qui semble bien sérieux est bien futile en réalité, qu’à l’opposé ce qui parait insignifiant peut aussi valoir tout l’or du monde. Je sais bien qu’elle a raison, que je me sens rarement aussi vivant qu’en beuglant des insanités à ma télé quand notre valeureux capitaine tente un tir d’un angle impossible, entre 17 bâtons, les 6 défenseurs adverses, et un juge de ligne. C’est une chic fille au fond la Monique. Je sais bien qu’elle a raison, qu’entre l’avertissement de grands froids sur le « cover » du Zournal de Mourial et le début de la section des sports, toute la marde qu’on nous enfonce de force dans gorge a bien peu d’importance. De toute façon on n’y peut rien, et comme l’a probablement dit Benoit Brunet un jour « Tout ce que je sais, c’est que je ne sais rien ».

En fait, tout ce que je sais c’est que la vie est brève, trop brève pour s’en faire avec le sort de l’Ukraine, le cours des Bitcoins, la droite religieuse Américaine, etc. J’dis pas qu’il ne faut pas y penser parfois, essayer de devenir un vrai petit garçon et de participer à un plus vrai changement que Mélanie Joly ne saurait le faire. J’dis seulement qu’il faut tâcher de contrôler ce qu’on peut contrôler, desserrer un peu l’emprise sul’bâton, et passer du bon temps à crier après une télé en buvant de la O’Keefe tablette avec des chums de temps en temps… Parce qu’au fond, y’a que ça qui compte.

Ting ! 9e étage, les portes qui s’ouvrent me ramènent justement au monde réel, sauvé par la cloche comme dirait l’autre.

— Bonne année Monique !

 

 

 

Crédit photo : Sportsnet.ca

Montage graphique : Yvon-Junior Desgroseilliers

Publié
6 années
Commentaires
5 Comments

5 comments on “Songe d’une nuit d’hiver

    • Yvon-Junior Desgroseilliers

      Nasty! Soft, prochaine fois, sur le front page du Zournal de Mourial : Est-ce que les blogueurs sportifs vont trop loin, cahier spécial de 20 pages de Richard Martineau à l’intérieur.

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